« Le plus grand luxe est d’être une personne gentille et bonne et de donner à l’humanité quelque chose qui enrichira sa vie”, a expliqué André Leon Talley dans une interview de 2010 avec le Yale Daily News
Propos iconoclastes de la part d’un des piliers de la mode et du luxe, socialiste dont la présence était particulièrement recherchée dans les salons les plus huppés de la Côte est américaine. Journaliste avant-gardiste, rédacteur de longue date du Vogue américain et icône de la mode, André Leon Talley a pratiqué cette philosophie tout au long de sa vie. En tant que pilier de l’industrie de la mode, l’Africain américain a défendu la diversité, l’ouverture et la positivité dans un monde souvent rigide et réfractaire au changement. Cette persévérance lui a permis d’ouvrir les portes du monde de la mode à des personnes qui en étaient exclues à cause de leur carnation et de leur classe sociale.
FASCINÉ PAR LA CULTURE FRANÇAISE
Né en 1948, André Leon Talley a été élevé par sa grand-mère Benny Francis Davis et par son arrière-grand-mère à Durham, en Caroline du Nord, à l’époque des lois racistes dites Jim Crow qui établissaient de sévères distinctions raciales dans les transports, le logement, l’emploi, l’éducation, etc.
Travaillant comme femme de ménage à l’Université Duke, Benny Francis Davis a eu un impact formateur et durable sur la vie de son petit-fils adoré.
Fasciné par la culture française et fantasmant sur Paris depuis son plus jeune âge, Talley a poursuivi une spécialisation en études françaises à la North Carolina Central University avant d’obtenir une maîtrise en littérature française de la Brown University. Il se destinait alors à une carrière de professeur de français. Mais après son diplôme, il s’installe à New York pour suivre l’apprentissage de Diana Vreeland, journaliste et éditrice de mode, au Costume Institute Metropolitan Museum of Art. Impressionnée par son protégé, Vreeland s’est arrangée pour qu’il travaille d’abord comme réceptionniste puis comme rédacteur à Interview, le magazine underground d’Andy Warhol.
Talley s’est ensuite aventuré dans le monde glamour des médias de la mode, occupant des postes au Women’s Wear Daily et au New York Times, avant d’accepter le poste de directeur de l’information mode chez Vogue Usa en 1983. Il est promu directeur de la création en 1988 – devenant le premier Noir à occuper le poste – et sera plus tard nommé rédacteur en chef, travaillant jusqu’en 2013 aux côtés avec la légendaire rédactrice en chef Anna Wintour pendant trois décennies. La boss de Vogue l’a ensuite banni de son entourage quand il est devenu « trop vieux, trop gros et qu’il n’était plus cool !» Un drame personnel pour ALT.
LA MODE, UN MOYEN D’EXPRESSION PERSONNELLE
Connu pour son allure plus grande que nature, armé de 198 cm sous la toise et son style personnel très recherché – souvent vêtu de grands boubous ou de caftans fluides, accompagné de bagages Louis Vuitton ou de bottes Ugg – Talley croyait en la mode comme moyen d’expression personnelle et en a fait son mantra.
Au cours de sa longue et illustre carrière, il est devenu un élément influent de l’air du temps culturel, brisant les barrières en tant qu’homme noir issu de la classe ouvrière dans une industrie notoirement blanche et privilégiée. Intime de Karl Lagerfeld, de Manolo Blahnik, d’Oscar de la Renta, juge sur America’s Next Top Model et mentor de designers comme l’Africain Américain Laquan Smith, cette force de la nature au cœur généreux qui a avalé nombre de couleuvres, était une icône d’icône. L’homme aux cheveux sel et poivre s’est raconté dans “The Chiffon Trenches : A Memoir “aux Éditions Ballantine Books) son autobiographie où il raconte par le détail une carrière de plus d’un demi-siècle qui l’a amené à côtoyer tous les grands noms de la mode. ALT s’est éteint en janvier 2022 à White Plains à l’âge de 73 ans.
Du 27 janvier au 7 février 2023, la collection personnelle de Talley sera proposée dans une série de ventes en line chez Christie’s et le 15 février à Christie’s New York. Le vestiaire d’ ALT comprendra des vêtements emblématiques ainsi que des objets d’art et d’art décoratif, des livres, des bijoux, de la correspondance personnelle et des souvenirs. La totalité des profits des ventes ira à l’Église Baptiste Abyssinienne de la ville de New York et à l’église Baptiste missionnaire du Mont Sinaï à Durham, la ville de son enfance. Ces deux institutions ont été centrales dans la vie de Tale. L’église baptiste abyssinienne, fondée il y a plus de 200 ans et l’une des plus anciennes églises baptistes afro-américaines, se consacre au culte ainsi qu’au service de la communauté de Harlem et au-delà à travers ses plus de 50 ministères. L’église baptiste missionnaire du mont Sinaï était l’église d’enfance de Talley et est l’un des premiers endroits où il a connu, affiché et observé la mode comme forme d’expression.