Le luxe en Afrique, une croissance promise à un bel avenir

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Uche Pézard, stratège du luxe, déploie l’expertise européenne sur un marché africain à fort potentiel.

Par Brune

Autrefois moteur essentiel de l’industrie mondiale, la Chine connaît actuellement un ralentissement notable. Plusieurs facteurs contribuent à cette atonie, notamment les politiques gouvernementales visant une meilleure répartition des richesses et une baisse de la confiance des consommateurs envers le secteur. Face à ce ralentissement en Chine, les marques de luxe cherchent à diversifier leurs sources de revenus en explorant de nouveaux marchés et en adaptant leurs stratégies. Elles se tournent vers des régions à forte croissance potentielle, telles que l’Amérique latine, l’Inde, l’Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient. Et l’Afrique, en pointillé. 

En 2024, la croissance économique moyenne des pays africains est estimée à 3,8 %, dépassant la moyenne mondiale prévue de 3,2 %. Cette performance place l’Afrique comme la deuxième région à la croissance la plus rapide, juste après l’Asie. Pour la même période, celle de l’Union européenne (UE) s’affiche à 0,9 %, tandis que celle de la zone euro s’élève à 0,8 %. Pour comprendre les enjeux et contours de ce marché, nous avons interrogé une experte du marché du luxe sur les opportunités qui s’offrent aux marques en Afrique occidentale.

Uche Pézard fait partie d’un petit cercle d’experts du secteur du luxe qui ont défini cette industrie moderne au cours des deux dernières décennies. Au travers de sa vision pionnière, elle a co-fondé en 2005 le premier cabinet de conseil en stratégie et management spécialisée dans le secteur, à une époque où l’activité du luxe n’était ni considérée ni consolidée. Première femme d’origine africaine à diriger une société française de services de luxe, Uche Pézard a accompagné les plus grandes maisons (Louis Vuitton, Cartier, Hermès) à l’intégration de la tech dans le secteur avec, dès 2006, le Club e-Luxe. Cette visionnaire a surtout réussi un pari audacieux : inscrire le luxe africain dans le vocabulaire mondial de l’excellence. Une révolution que la Nigériane poursuit aujourd’hui à travers Luxury Connect Africa, passerelle entre talents africains et luxe international.

Les marques de luxe occidentales peuvent-elles trouver leur place sur le continent africain ?

Absolument. Certaines marques s’y emploient déjà, mais le potentiel reste largement sous-exploité. Pour vous donner une idée, les maisons de vins et spiritueux de luxe n’ont pas encore atteint 5% du potentiel du marché africain. Le secteur des vins et spiritueux haut de gamme – champagne, cognac, whisky, vodka, tequila, sans oublier les grands vins – s’inscrit profondément dans le lifestyle africain. C’est un marché où la consommation est intimement liée à la culture et aux traditions.

Comment les habitudes de consommation diffèrent-elles entre l’Europe et l’Afrique ?La différence est fondamentale. Alors qu’en Europe, ces produits sont traditionnellement associés à l’apéritif et aux repas, l’Afrique privilégie une approche centrée sur la vie sociale. Le continent africain génère beaucoup plus d’occasions festives et d’événements. Par exemple, en 2023, la consommation de champagne en Côte d’Ivoire a doublé en trois ans, atteignant plus de 700 000 bouteilles. Cette augmentation est attribuée à la croissance économique et à l’adoption de nouvelles habitudes de consommation au sein des élites et de la classe moyenne. Autre exemple significatif, celui du Nigeria : le pays enregistre officiellement plus de 3 millions de mariages par an, sans compter ceux qui ne sont pas recensés. Chaque mariage rassemble en moyenne 500 à 600 invités, les plus grandes célébrations pouvant atteindre 5 000 personnes. Ces événements s’accompagnent d’une tradition d’échange réciproque de cadeaux, notamment de vins et spiritueux, créant un marché naturel considérable. Il n’y a pas de véritable marché de mariage en Europe ni même aux États-Unis. Donc, on ne peut pas prendre les modèles occidentaux et essayer de les dupliquer en Afrique, en attendant le même résultat, parce que ce n’est pas du tout le même marché.

Observe-t-on une augmentation de la demande de produits de beauté de luxe? 

Effectivement, mais ce secteur fait face à des défis spécifiques, notamment en matière de logistique et d’export-import. L’une des principales frustrations entendues concerne le e-commerce : de nombreuses plateformes internationales ne livrent pas en Afrique, et même localement, la distribution reste limitée. Cette situation a paradoxalement favorisé l’émergence de marques locales de haute qualité, particulièrement dans le secteur du maquillage et les capillaires. Les soins et les parfums suivent progressivement cette tendance.

Les marques de luxe occidentales manifestent-elles un intérêt croissant pour l’Afrique ?

La situation varie selon les secteurs. Dans la beauté comme dans les vins et spiritueux, l’intérêt est réel, mais se heurte à un manque d’infrastructures de distribution. Les maisons de luxe recherchent des points de vente prestigieux – grands magasins, centres commerciaux haut de gamme – correspondant à leur image. Pour établir une comparaison, l’Inde a amorcé son développement dans le luxe vers 2007-2008 en s’appuyant sur les hôtels cinq étoiles comme points de vente. Quinze ans plus tard, le pays dispose d’un réseau de distribution structuré.

Quelles sont les perspectives d’évolution ?

Le marché africain du luxe traverse différentes phases de développement selon les pays. L’Afrique du Sud et le Maroc sont plus avancés, mais le Nigeria, qui représente le plus grand marché potentiel du continent – dépassant de 50% des marchés comme l’Égypte ou le Kenya – reste en phase d’émergence. Malgré ces défis, des success stories comme l’implantation réussie de la Maison Montale à Abidjan ou la présence de Clarins au Nigeria démontrent que le marché est prometteur. Le potentiel est là, gigantesque mais il nécessite une approche adaptée aux spécificités locales.

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