Face aux paillettes et à l’euphorie forcée des fêtes, nombreuses sont celles qui ressentent un vide inexplicable.
Par Yaba Andrew
Assise dans son petit appartement parisien, Awa, 27 ans, consultante en stratégie digitale, fixe son téléphone avec lassitude. Les stories Instagram défilent : dîners somptueux, soirées étincelantes, tenues magnifiques et familles réunies autour de sapins parfaits. À 6000 kilomètres de sa famille restée à Dakar, elle ressent ce que la psychiatre Dr. Carolyn Rodriguez de Stanford University définit comme « une forme aiguë de dépression saisonnière, exacerbée par la pression sociale des fêtes de fin d’année. » Certes, Awa est contente de toutes ces lumières qui scintillent dans les rues les plus achalandées de la capitale française mais n’arrive pas à se départir de ce sentiment de tristesse qu’elle ressent. Et en discutant avec quelques copines à Paris, mais également à Abidjan et à Brazzaville, elle se rend compte que cette mélancolie semble être assez partagée.
Trouble Affectif Saisonnier
« Entre les attentes familiales, la pression sociale et la solitude, les fêtes deviennent un véritable parcours du combattant émotionnel », confirme le Dr. Norman Rosenthal, psychiatre à l’origine de la reconnaissance du Trouble Affectif Saisonnier (TAS). Selon ses études, cette forme de dépression touche particulièrement les femmes actives de 25-35 ans, avec une prévalence plus marquée chez les personnes vivant loin de leur famille.
Pour Awa, tout a commencé subtilement. « D’abord, c’est l’angoisse des questions familiales lors des appels vidéo : ‘Quand rentres-tu ? As-tu rencontré un bon fiancé ?’ Puis vient la culpabilité de ne pas être présente pour les fêtes, à cause de son budget serré, des prix astronomiques des billets d’avion associés à ceux des cadeaux à ramener.Trop pour elle.
Le Dr. Marie-Claude Gavard, psychologue spécialisée dans l’accompagnement des femmes de la diaspora, identifie trois facteurs clés de ce spleen de Noël : la double pression culturelle ; l’idéalisation des fêtes sur les réseaux sociaux et le décalage entre réussite professionnelle et attentes familiales.
Christmas brunches
Mais le Christmas Blues des fêtes n’est pas une fatalité. Awa a trouvé ses propres stratégies de résilience et les applique avec précision, consciente que même si elles ne sont pas miraculeuses, elles l’aident à supporter cette déprime. Ainsi, comme un adjudante cheffe, elle s’applique à :
– Créer ses propres traditions. La Miss organise des « Christmas brunches » avec d’autres copines camerounaises, antillaises, congolaises et françaises. Chacune apporte un plat de chez elle et à côté des crêpes bretonnes fument des casseroles de ndolé et des petites marmites de colombo. Et le thé au gingembre voisine le punch au coco. Un syncrétisme culinaire qui finit par des crises de fou rire mémorable.
– Pratiquer l’auto-compassion « J’ai appris à ne pas me juger pour ce que je ressens », explique-t-elle. Je n’ai pas les moyens d’aller au pays ? Cela ne signifie pas que je suis nulle ou une mauvaise personne. J’essaie de fixer mes priorités en fonction de mes besoins, pas facile certes mais c’est essentiel sinon ma famille me prendra comme sa banque d’affaires.
– Maintenir une routine bien-être gymnastique matinale, méditation, soins beauté avec en prime des massages au beurre de karité pour nourrir son épiderme et se faire du bien. Des rituels qui ancrent et apaisent.
-Réinventer les connexions familiales avec des appels vidéo planifiés, mais également élargir son cercle en y adjoignant des amis. En donnant un sens à sa vie autre que son travail. Elle a créé un groupe WhatsApp « Sisterhood Christmas » où d’autres femmes partagent leurs expériences et s’entraident. « Les fêtes ne sont plus ce moment que je redoute, mais une période où je célèbre qui je suis devenue, avec mes deux cultures et mon ouverture d’esprit que me conduit à m’intéresser aux autres et à prendre ce qu’il y a de meilleur en eux. »
« Il est crucial de comprendre que ces sentiments de déprime sont légitimes », souligne le Dr. Gavard. Le vrai luxe des fêtes, c’est peut-être de s’autoriser à les vivre différemment. Une chose est certaine : le Christmas Blues n’est pas un signe de faiblesse, mais une opportunité de réinventer sa façon de célébrer, en accord avec ses propres valeurs et son histoire unique.