Le grand tournant de l’industrie cosmétique

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Qui aurait pu croire qu’un virus inconnu et vagabond mettrait à mal le monde de l’industrie, cosmétique compris, et conduirait les usagers à repenser leurs habitudes, fragilisant au passage les entreprises du secteur?

YABA ANDREWS

Lorsque l’on procède à un examen approfondi des premières conséquences de la pandémie de la Covid-19 sur les économies mondiales, force est de constater que peu de secteurs ont été épargnés. Des domaines qui avaient un an auparavant le vent en poupe, affichant une croissance insolente et des profits gigantesques ont, eux aussi, été malmenés.

Les contraintes imposées pour freiner l’expansion de ce virus vagabond ont, en un temps record, freiné les ardeurs des consommatrices, privé les addicts de leur shopping favori et amené de nouveaux comportements induits par le port du masque. Qui aurait pu croire qu’un microbe inconnu aurait mis à mal le monde de l’industrie, cosmétique compris, et conduit les usagers à repenser leurs habitudes, créant ainsi la fragilisation des entreprises du secteur?

« La cosmétique en France représente 24 milliards d’euros de chiffres d’affaires, 67 milliards de dollars aux États-Unis et 47 milliards en Chine », rapporte Christophe Masson, directeur général de la Cosmetic Valley, qui est à la beauté made in France ce que la Silicon Valley est aux nouvelles technologies Outre-Atlantique. « En France, ce 3e secteur d’importation, poursuit-il, reste le 2e contributeur à la balance commerciale et concerne 54 000 emplois directs. En quelques mois de confinement, certaines enseignes de la beauté ont perdu jusqu’à 80 % de leurs chiffres d’affaires et les maisons de luxe ont été plus touchées que les autres entreprises du secteur. Les aéroports fonctionnant au ralenti, les déplacements aériens limités, les touristes absents, les zones de travel-retail et duty-free, qui sont des vecteurs majeurs de distribution du luxe, n’ont pas travaillé avec la même cadence ni généré les recettes prévues. »

S’il existe quelques pistes de réflexion et d’espoir, rien en permet de dessiner fidèlement, aujourd’hui, les contours d’un after Covid-19 en matière de beauté, d’autant que la durée et l’ampleur de la pandémie restent des inconnues. En outre, les habitudes de consommation des Caucasiennes sont sensiblement différentes des nôtres. Néanmoins, la crise sanitaire a accéléré les transformations enregistrées des années auparavant, à savoir: la baisse des ventes de maquillage malgré quelques beaux succès; le regain d’appétence pour les produits d’hygiène; et le souhait des utilisatrices d’avoir accès à des solutions moins universalistes, plus sur mesure que prêt-à-consommer avec l’explosion du Do it yourself ou fait maison. Des offres respectueuses de l’écologie et moins gorgées de chimie font partie du nouveau cahier des charges de consommatrices conscientes.

Pour preuve, la Franco-Sénégalaise Dieynaba Ndoye a lancé, en 2016, sa jolie marque 100 % naturelle et personnalisable, appelée Waam, et réussi, en février dernier, à lever un 1,5 million d’euros auprès de Karot Capital et Bpifrance.

DÉCLIN DU DÉFRISAGE

Thierry Tchapnga, camerounais, pharmacien et fondateur du site paraethnik.com, assure que le confinement a effectivement bousculé les certitudes des Afrodescendantes. « Les ventes de défrisages à froid et de gammes de lissage ont subi une baisse vertigineuse de la demande et les commandes de ces produits deviennent très rares sur notre site. Autrefois, les femmes se défrisaient les cheveux, puis portaient une perruque ou faisaient un tissage. Désormais, elles zappent l’étape défrisage et mettent leur perruque, laces ou extensions sur une chevelure naturelle, crépue ou frisée. On remarque, en outre, un net recul des achats de dépigmentants et autre produits blanchissants. Les consommatrices acceptent mieux, en général, leur couleur originelle. Même s’ils restent des inconditionnelles qui s’approvisionnent sur les marchés à des prix défiants toute concurrence et qui, souvent, ne connaissent pas la dangerosité et la toxicité de ces crèmes qu’elles appliquent sur leur peau. »

Les femmes sont-elles prêtes alors à sauter le pas et à changer leurs habitudes de consommation en matière de beauté?

Les beauty addicts vont-elles passer au less is more (le moins est le mieux) plus adapté aux contraintes sanitaires? Là encore, le doute perdure. En consultant les réseaux sociaux – Instagram, Tik Tok et autres Facebook –, une analyse des comportements de nos sisters, en cette période où la pandémie « brexite » à fond, (le « je pars, mais je reste finalement », rendu célèbre par le Premier ministre britannique Boris Johnson), ne permet pas d’affirmer que la beauté consciente et concentrée sur l’essentiel gagne du terrain. Au contraire, les influenceuses les plus « likées » affichent toujours autant de tissage, de perruque et laces à rallonge; leur maquillage demeure soutenu, et leur rouge à lèvres brille comme un tison ardent. Très peu d’entre elles manifestent le désir de s’essayer à une certaine sobriété, avec une peau naturelle, les cheveux nappy et l’œil vaillant.

De passage à Londres qui est souvent un excellent indicateur des tendances qui déferleront dans la diaspora et sur l’Afrique, on a pu noter que le maquillage chargé au niveau des yeux, et les ongles longs et ripolinés étaient au garde à vous, que les mèches prenaient de la longueur et de la couleur, comme pour prouver que même avec un masque, la vie continuait, pour soi d’abord. Peu importe si les relations sociales se résument au reflet de sa propre image dans un miroir, ou à une conversation sur Skype ou Zoom.

40 % DES VENTES EN LIGNE

Le confinement a surtout contraint les plus chanceuses à modifier leurs adresses shopping, les forçant à surfer des heures sur le Net pour trouver les fards qu’elles s’arrachaient naguère dans les boutiques physiques. Cette consommation at home a d’ailleurs favorisé l’explosion du chiffre d’affaires des boutiques en ligne. Ainsi, Amazon, le géant du commerce en ligne célébrait en juillet « un chiffre d’affaires en hausse de 40 % à près de 89 milliards de dollars », écrivait le magazine Capital dans son édition digitale du 31 juillet 2020. Amazon apparaît comme le grand gagnant de la pandémie pour le deuxième trimestre 2020. « Nous avons créé plus de 175 000 emplois depuis le mois de mars et sommes en train d’en transformer 125 000 en des postes permanents », s’est réjoui Jeff Bezos, propriétaire d’Amazon, devenu du coup l’homme le plus riche du monde avec une fortune estimée à 189 milliards de dollars en juillet 2020.

Même sourire de satisfaction affiché au visage de Thierry Tchapnga. « Oui, le confinement a été bénéfique pour Paraethnik, car, entre mars et mai derniers, les clientes ne pouvaient pas quitter leur domicile. Cela s’est traduit par une augmentation de 40 % de nos ventes en ligne. Depuis la sortie du confinement, les ventes se sont stabilisées. Les best-sellers de cette période? Certainement les soins pour activer la croissance capillaire, les gels hydroalcooliques et les masques lavables certifiés que nous avons lancés. Ensuite les produits corps tels que les gommages et les hydratants. Les femmes avaient enfin le temps et pouvaient prendre soin d’elles. Par contre, le maquillage s’est effondré littéralement, puisque les utilisatrices n’avaient ni vie sociale ni obligations professionnelles. »

NOUVELLES VIES, NOUVEAUX DÉFIS

La manne rapportée par le commerce en ligne fait grincer les dents des écologistes, car ces ventes en ligne ne sont pas très vertueuses en matière d’empreinte carbone et de respect de l’environnement.

En effet, habiter à Paris, Dakar ou Cayenne, s’offrir en ligne des mèches qui viennent d’Inde, du rouge à lèvres de Chine ou des crèmes de Taïwan, qui seront acheminés par avion, puis présentés dans moult emballages plastiques, auront un coût pour l’environnement. En outre, pour toucher une clientèle plus diversifiée, les marques internationales ont élargi leurs offres, quitte à favoriser un gaspillage certain. Il y a dix ans, ces enseignes proposaient en moyenne 30 teintes de rouge à lèvres par an; aujourd’hui, elles en sont à une centaine dont la majorité ne se vend pas. Une gabegie dont l’objectif affiché est de capter la Z génération et les Millennials avides de nouveautés.

L’incertitude n’est pas une donnée qui plaît aux marchés et aux investisseurs, mais la résilience obligée pour ne pas sombrer permettra aux créatifs et attentifs des nouvelles envies des acheteuses de se faire une place au soleil. Avec ou sans virus.

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