Manuela Bondo, au plus près des étoiles

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Pilote de jet privé, Manuela Bondo est la seule Africaine de l’espace francophone à piloter des Falcon considérés comme la Rolls-Royce de l’aviation.

CHLOÉ D’IZÉ

Positive, rassurante, amiteuse et généreuse, en une phrase, elle vous ouvre les champs des possibles. Pilote de ligne, la sémillante Gabonaise explique à la matheuse pitoyable que j’ai toujours été: « On imagine souvent que pour entrer dans l’aviation, il faut sortir de Maths Sup ou des séries scientifiques. Mais la science de l’aviation est complètement autonome. On peut vraiment venir de divers horizons, avoir fait philo, par exemple, et finir pilote. Adolescente, j’étais déjà très cartésienne, particulièrement intéressée par les maths et la physique, mais j’aurais pu faire une autre branche. » Ouf me voici lestée d’une nouvelle vocation. Juste en rêves!

Issue d’une fratrie de huit enfants composée de sept filles et d’un garçon, elle entendait son père déclamer son désir d’avoir un fils dans l’aviation. Et la gamine téméraire lui répondait: « Non, non, cela ne lui plaît pas, moi je veux être pilote. » Ce qui était une boutade enfantine est devenu réalité. « Rétif à ma vocation, mon père a pourtant été mon premier passager et est finalement devenu extrêmement fier de ce choix. »

Adolescente nomade poursuivant ses études secondaires au Gabon, puis passant un baccalauréat général au Canada, où elle s’inscrit dans une école de pilotage, Manuela Bondo réussit à Montréal sa licence de pilote privé. « Le monde de l’aviation est plus anglophone que francophone. Je me suis donc rendue aux États-Unis pour perfectionner mon anglais et, en même temps, convertir ma licence canadienne en licence américaine. Là, j’ai fait l’IFR, l’Instrument Flight Rules, qui fait partie des règles de l’air définies par l’Organisation de l’aviation civile internationale. »

Les yeux dans le ciel et les pieds sur terre, bardée de ses diplômes, Manuela Bondo rentre travailler au bercail. Le choc ! Air Gabon, emblème national, met la clé sous la porte, tandis que les compagnies privées de la place se montrent frileuses parce qu’elle n’affichait pas assez d’expérience ni de nombre d’heures de vol suffisantes à leurs yeux. Le Congo-Brazzaville lui ouvre les bras, son CV est retenu par un avionneur dans la ville pétrolière de Pointe-Noire, où elle y restera neuf mois, puis vole à nouveau durant deux ans pour une autre compagnie dans le même pays.

De retour à Libreville, elle se qualifie sur Falcon, devenant une des rares femmes noires à piloter un tel appareil et la seule francophone à ce moment-là. Cependant les clichés sexistes ne lui sont pas épargnés. « À mon retour au Gabon, le plus dur n’a pas été de piloter un avion, mais d’affronter le regard des gens. Dans la compagnie d’aviation d’affaires où je travaillais, les clients avaient le privilège de choisir leur équipage. Au départ, ils refusaient que je prenne les commandes, car j’étais une femme. La compagnie me réservait, par courtoisie, puis m’informait ensuite que le vol était annulé. Mais le lendemain, j’apprenais que la rotation avait été effectuée avec un autre pilote. » Au moment de signer sa lettre d’embauche, son patron l’avait prévenue d’emblée : « Un, vous êtes une femme, deux vous êtes noire. Vous devrez vous faire votre place parce que vous portez deux préjugés sur vous. Vous allez devoir travailler deux fois plus dur qu’un homme et deux fois plus dur encore pour casser les idées préconçues. »

En 2009, le ciel de Manuela Bondo s’éclaircit. La campagne présidentielle bat son plein et Ali Bongo Ondimba, candidat à la magistrature suprême de surcroît, doit designer son équipage. « Mes collègues se vantaient déjà d’être ceux qui transporteraient le candidat. Moi, j’étais sûre d’être exclue d’office, le candidat président Ali Bongo n’allait pas, selon moi, retenir une novice. Et pourtant si! J’ai fait toute la campagne électorale comme pilote du candidat président. Un sacré coup de pouce, car les personnalités qui m’ont souvent vue avec des chefs d’État venus en visite durant toute cette période, ont conclu que je devais être compétente. À partir de ce moment-là, les clients ont afflué et choisi de voler avec moi aux commandes. Cela m’a fait une excellente publicité ! »

Après dix années de ciel bleu et d’horizon sans cumulonimbus, comme sur un petit nuage dans l’habitacle de ses avions, Manuela Bondo est particulièrement heureuse au volant de son Falcon, « appareil d’excellence, un peu la Rolls-Royce de l’aviation, un petit qui se comporte comme un grand. C’est un avion VIP, avec des pointes de vitesses impressionnantes, qui va aussi vite que des Boeing 777 ou 747. On arrive à faire de longues destinations en peu de temps, sans être exténué et le confort du passager est mieux assuré », confie-t-elle, le sourire joyeux de ses heures de vol.

Cependant, affirmer qu’il s’agit d’une profession de tout repos serait exagéré et les tensions y sont fréquentes. Le stress reste omniprésent, car dans l’aviation d’affaires, on ne décolle jamais du même endroit. « Un businessman peut décider un matin de foncer à l’île Maurice et c’est à vous de trouver comment l’emmener à bon port. Voler d’un point A à un point B signifie étudier les modalités, prendre des assurances, demander les autorisations pour arriver à destination en tenant compte des exigences du passager. Il faut lui faire comprendre que l’avion n’est pas une voiture et reste sujet à des règles très strictes, même s’il a payé pour ce service. Faire en sorte que le vol soit le plus paisible possible, sans la moindre turbulence et qu’à l’atterrissage, le passager ne sente même pas qu’on a posé l’avion. »

Passionnant, le métier demeure éprouvant pour la physiologie féminine, les menstruations sont plus abondantes, le sang plus fluide, ce qui devient compliqué à gérer à 2000 m d’altitude. Dans les ouvrages spécialisés, c’est motus et bouche cousue. « J’ai posé ces questions à un médecin de l’aviation qui m’avait répondu: “Vous êtes trop minoritaire pour que cela soit pris en compte.” Pour la médecine aéronautique, il n’est pas encore autorisé à une pilote de refuser un vol en cas de règles douloureuses. Hormis ces inconvénients, on a le temps pour prendre soin de soi et jouir des plaisirs de la vie. Tous les six mois, un examen médical obligatoire doit être passé pour déceler une diminution des capacités. Dans le système américain auquel j’appartiens, il n’y a pas de limites d’âge pour travailler dans cette branche, tant que la santé est bonne. On peut s’adonner à l’aviation de balade jusqu’à 80 ans, tant que le cœur va bien. »

Vous connaissez l’adage du cordonnier mal chaussé ? Manuela Bondo pourrait le reprendre à son compte, reconnaissant qu’elle n’aime pas trop prendre l’avion quand d’autres pilotes sont à la manœuvre. Passagère calme et précautionneuse, elle choisit sa place en bonne connaisseuse, vérifie son gilet de secours sous son siège, consulte la notice explicative en cas de problèmes et cherche l’issue de secours. Et s’endort comme un loir. « De toutes les façons, une fois dans les airs, on ne peut plus rien faire », devise-t-elle en haussant les épaules.

Membre active du mouvement féministe L’Appel des Mille et une, cette maman d’une brillante adolescente effectue régulièrement des sessions de formation et de sensibilisation auprès des jeunes filles, lycéennes et étudiantes pour leur parler des divers métiers de l’aérien. Dans le cadre de la campagne de la sensibilisation sur le thème « Jeune fille, prépare ton avenir », elle se mue en formatrice, arrive avec casquette et uniforme, cravatée et galonnée, pomponnée aussi et parle avec exaltation de sa profession. « Je les mets en condition avec des projections sur les avions, le décollage, l’atterrissage, l’immensité du ciel. Je leur parle de mes expériences. À la fin de chaque présentation, c’est l’émeute et elles veulent toutes embrasser la profession. À Mille et une, nous stimulons les jeunes filles, car plus éduquées elles seront, meilleure sera la société. »

Cependant, une fois la fièvre de la découverte atténuée, la réalité revient à la vitesse du son. « Chaque année, l’aviation militaire organise un concours pour intégrer l’armée de l’air, ce qui est une excellente formation, et chaque année, on constate la défection des femmes. Pourtant, si une seule se présentait, elle serait acceptée. Et cela fait dix ans que l’on n’a pas eu de nouvelle recrue. C’est dommage, car cette porte que l’on a poussée ne doit pas se refermer après nous, mais rester grande ouverte pour les générations futures. »

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